Avant que le cinéma parlant ne déferle dans les salles obscures à la fin des années 1920, le muet va connaître ses dernières, mais aussi ses plus glorieuses, années d’existence. C'est aussi à partir de 1914 que les studios hollywoodiens vont, par leur organisation et leur rayonnement, s'imposer comme le temple du septième art et, grâce à l’interruption de la production européenne durant la guerre, ils exporteront de nombreux films, notamment les mises en scène burlesques qui assureront leur triomphe planétaire. Sur le vieux continent, le cinéma évolue différemment selon les pays : l’expressionnisme voit le jour en Allemagne, l'impressionnisme apparaît, lui, en France, tandis qu'en Russie se développe une production privilégiant le travail sur les effets du montage.Le Cabinet du docteur Caligari (1921) de Robert Wiene
Un cinéma pour égayer la dure réalitéEn 1914, la guerre éclate sur le vieux continent, et, comme beaucoup d'autres hommes, de nombreux acteurs sont mobilisés. La production cinématographique européenne est alors presque totalement interrompue, et lorsque le public se réfugie dans les salles obscures pour tenter d'oublier les horreurs du front, il se retrouve nez à nez avec Charlie Chaplin.Ce jeune américain a su, et c'est là une des raisons de son grand succès, proposer un style original, inventant face à la caméra son personnage malchanceux, facilement reconnaissable avec sa moustache et son chapeau melon. Son allure inimitable lui permet de détrôner en peu de temps l'élégant Max Linder, qui, après avoir été découvert par Charles Pathé, régna sur les écrans jusqu'aux premières heures de la guerre. Le désormais célèbre Charlot, lui, fut, lors de ses débuts, parrainé par le réalisateur Mack Sennett, dont l’intuition a aussi permis de lancer Glorias Swanson, Mabel Normand et Fatty Arbuckle. Parallèlement à sa recherche de nouveaux talents, ce cinéaste américain, metteur en scène des Keystone Comedies, toujours entouré de ses Bathing Girls, tourne des films remplis de bonne humeur, et devient, en peu de temps, l'un des premiers grands maîtres du burlesque, mêlant allègrement courses folles et tartes à la crème.
A Los Angeles, l'industrie cinématographique est alors en plein essor, et, grâce au ralentissement brutal de la production sur le vieux continent, elle exporte, dans des quantités qui ne cessent de croître, ses diverses mises en scène. C'est donc à partir de 1914 que le septième art américain, jusque là soumis à la suprématie européenne, va s'imposer comme la plus importante, et probablement la plus influente, des cinématographies mondiales. En 1919, les films venus des États-Unis représentent environ 90 pour cent des projections réalisées dans les salles des cinémas européens. Ce développement impressionnant est un des principaux facteurs qui donne naissance à la fascination pour un lieu, aujourd'hui mythique, où sont regroupés tous les studios des plus grandes entreprises de production, Hollywood. C'est en effet pendant la guerre, que le temple du septième art, qui connaîtra ses glorieuses années entre 1920 et 1960, commence à attirer plusieurs cinéastes européens et notamment français.
Monte là-dessus (
Safety Last, 1923) de Harold Lloyd
Parmi eux, Louis Gasnier, l'un des plus célèbres à cette époque, s’installe sur la côte ouest des États-Unis, après que Pathé lui ait proposé d'aller y diriger une de ses filiales. Fort de l’expérience acquise en ayant, quelques années auparavant, mis en scène les premiers Max Linder, il se lance, dès 1914, dans la réalisation de films à épisodes. Avec les mystères de New-York, dans lequel le public découvre Pearl White, il connaît rapidement un succès prodigieux. Un an plus tard, c'est au tour de Louis Feuillade, le créateur du bondissant
Fantômas, de présenter
Les vampires. Puis, en 1916, deux ans après son triomphe avec
Naissance d'une nation, David W. Griffith est à nouveau sous le feu des projecteurs, avec un film intitulé
Intolérance, dont l’impressionnante mise en scène regroupe quatre épisodes de l'histoire du monde. Le tournage, lui, engloutira un budget de deux millions de dollars, ce qui est colossal pour l'époque, et réunira devant les caméras plusieurs milliers de figurants.
Max Linder Au lendemain de la guerre, tous les yeux se tournent vers les États-Unis et plus particulièrement vers Los Angeles, où le quartier d'Hollywood est alors en pleine croissance. Mais un tel essor n'est pas dû au hasard ou seulement à l’opportunité offerte par l'interruption des productions européennes entre 1914 et 1918. En effet, les studios hollywoodiens doivent aussi leur développement à la mise en place d'un type de production élaboré sur des hiérarchies budgétaires. Dans ce système, les acteurs possèdent un contrat, souvent très strict, avec leurs studios, et sont érigés en stars, afin qu'émerge autour d'eux un culte susceptible de fidéliser les spectateurs des salles obscures. Une autre raison pour laquelle Hollywood se développe rapidement est la séparation des genres cinématographiques selon les différentes firmes. Ainsi, la Warner se spécialise dans les films policiers et les comédies musicales, l'Universal dans les mises en scène fantastiques, et la Metro-Goldwyn-Mayer dans les mélodrames historiques.
Outre un fonctionnement bien structuré, Hollywood a su attirer, puis accueillir, et ce dès les années d'après guerre, les plus talentueux des cinéastes et acteurs qui jusque là travaillaient en Europe. En 1921, Ernst Lubitsch et Friedrich Wilhelm Murnau, tous deux d'origine allemande, ainsi que les suédois Victor Sjöström, Mauritz Stiller et Greta Garbo s'installent aux États-Unis. Pourtant, si l’effervescent quartier de Los Angeles peut être fier de son rayonnement dans le monde cinématographique, il cache en revanche, dans sa vie quotidienne, une amoralité qui fait se soulever une vague d'indignation. Après le divorce de Mary Pickford, l’assassinat du producteur Jesse L. Lasky et quelques autres faits divers de ce genre, William H. Hays est désigné pour faire régner la vertu à Hollywood. Il crée pour cela un code dans lequel il déclare : "la sainteté de l'institution du mariage ne sera jamais perdue de vue, et les films ne devront jamais laisser penser que les formes réalistes des relations amoureuses, sont loi commune". Peu de temps après, Charlie Chaplin, qui voit par son divorce récent sa carrière menacée, réalise
L’opinion publique.
Mais ces quelques événements, qui se déroulent en dehors des studios, sont sans doute la seule ombre au tableau des années 1920 à Hollywood. En effet, chaque année, la production de films ainsi que l'exportation ne cessent de croître. David W. Griffith triomphe avec Le Lys brisé et A travers l'orage, dans lesquels Lillian Gish fait ses premiers pas d'actrice. Quant à Cecil B. De Mille, il réalise
Jeanne d'Arc (1916) et
Les dix commandements (1923). Mais, au lendemain de la guerre, le film événement est
Folies de femmes, pour lequel son réalisateur, Erich Von Stroheim, émigré autrichien et ancien assistant de Griffith, fait reconstruire, avec plus d'un million de dollars, Monaco en studio. Puis, en 1925, King Vidor tourne
La Grande parade, avant de réaliser, trois ans plus tard,
La foule (
The Crowd). Cependant, le cinéma qui va véritablement assurer la suprématie des studios hollywoodiens à travers le monde durant cette époque est le burlesque. L'un de ses maîtres incontesté est Charlie Chaplin, mais plusieurs autres, tel que Buster Keaton, Harold Lloyd et Harry Langdon, font aussi beaucoup parler d'eux. Or, la plupart de ces acteurs, qui s'étaient construit un univers au sein d'un cinéma muet, disparaîtront des écrans lorsque la musique du langage viendra emplir les salles obscures; seuls Charlot, ou Laurel et Hardy survivront à l'arrivée du parlant.
Les différentes évolutions du cinéma en Europe Pendant qu'Hollywood conquiert la planète avec, entre autres, ses mises en scène burlesques, les pays européens reprennent, au lendemain de quelques années douloureuses, leur production, et pour certains, développent un cinéma qui répond à leur propre attente. L'Allemagne, qui a du mal à se remettre de sa défaite, sombre dans la misère, et, après
Les mystères de Berlin, qui anime les écrans durant la guerre, le public découvre
Le cabinet du Dr Caligari, signé par Robert Wiene et Carl Mayer. Dans ce film, présenté en 1920, le directeur d'un hôpital psychiatrique hypnotise ses malades pour en faire des criminels. Cette mise en scène ainsi que quelques autres, notamment De l'aube au crépuscule de Martin, seront à l'origine de l’expressionnisme, dont les premiers pas côtoient le renouveau du romantisme. Sous l’influence de ces premières mises en scène, d'autres réalisations, telles que
Nosferatu de Murnau,
Les trois lumières de Fritz Lang et
Le Golem de Paul Wegener, voient l'une après l'autre le jour. Or, ce nouveau courant cinématographique laisse aussi la place à des films plus réalistes, comme
La Rue sans joie sorti en 1925, ou
Loulou et
Le Journal d'une fille perdue, présenté en 1929, tous deux signés par Georg W. Pabst, et dans lesquels joue l'actrice Louise Brooks.
L'aurore (1927) de F. W. Murnau
Si en Allemagne le cinéma baigne dans une sombre atmosphère, en France, il montre un visage plus enthousiaste. Les réalisateurs Louis Delluc, Jean Epstein, Germaine Dulac ou Marcel L’Herbier font la part belle à la plastique de l'image ainsi qu'au rythme du montage, et sont, pour cela, considérés comme les pionniers du courant impressionniste. Ce terme, qui n'a qu'un très lointain rapport avec l'impressionnisme pictural, permet néanmoins de l'opposer un peu mécaniquement à l'expressionnisme allemand. Bien qu'ils suivent une même ligne directrice, les cinéastes de ce nouveau courant n'ont pas pour autant perdu toute identité. René Clair s'emploie à mettre en scène ses songes heureux dans
Paris qui dort,
Le voyage imaginaire ou
Un chapeau de paille d'Italie. Germaine Dulac, qui réalise
La souriante Mme Beudet, et Jean Epstein, qui tourne
L’auberge rouge, s'efforcent, eux, d'approfondir la psychologie de leurs personnages. Quant à Abel Gance, il dévoile en 1923, et après deux ans de tournage,
La roue, dans lequel apparaît nettement le soin apporté au travail de l'image. Le montage, court et paroxystique, impressionnera le monde entier, tout comme celui de
Napoléon, présenté en 1927 par le même réalisateur novateur.
La Chute de la maison Usher (1927) de Jean Epstein
Au même moment, en Russie, après la révolution de 1917, des bateaux et des trains de propagande sont envoyés à travers tout le territoire, afin de diffuser les "agit-films". Lénine ayant déclaré en 1919 : "de tous les arts, le cinéma est pour nous le plus important". Les cinéastes soviétiques, pour la plupart satisfaits de l'arrivée au pouvoir des bolcheviks, veulent s'éloigner du septième art antérieur, qu'ils considèrent « bourgeois », pour mettre en valeur le travail du montage, au détriment du style romanesque et de l'étude psychologique des personnages. Koulechov, un jeune cinéaste de 20 ans, réalise Les aventures extraordinaires de Mr West au pays des Bolcheviks, puis quelque temps après, invente un effet qui portera son nom. En intercalant le gros plan d'un acteur, avec une assiette de soupe, un cercueil et un enfant, il exprime, avec une rapidité impressionnante, la faim, la tristesse et l’attendrissement, à un public déconcerté par l'extraordinaire pouvoir du montage cinématographique. Puis, après que Dziga Vertov ait exposé ses différentes théories dans
L'homme à la caméra, Eisenstein choisit, en 1924, de s'absenter un temps des studios, afin de faire jouer devant ses objectifs, dans
Le Cuirassé Potemkine, la population d'Odessa, ville portuaire située sur les côtes de la Mer Noire.
Le Cuirassé Potemkine (1925) de Sergueï M. Eisenstein
L'Homme à la caméra (1929) de Dziga Vertov
source : http://www.citecinema.com/Plan-Du-Site/Plan-Du-Site.htm