A l'heure où la bourse new-yorkaise s'effondre, le cinéma parlant s'installe dans le célèbre quartier de Los Angeles, Hollywood, dont la simple évocation du nom suffira désormais à faire rêver le monde entier. Puis la sonorisation des films gagne ensuite les salles obscures européennes, et le septième art français se distingue alors, outre la gaieté de ses bandes originales, par la grande importance qu'il accorde aux dialogues. Parallèlement, dans les pays dirigés par un régime totalitaire, le cinéma, que ce soit pendant les années 1930 ou durant la guerre, se voit tour à tour devenir un refuge loin de la réalité, un moyen de propagande, et une voix qui s'élève pour dénoncer la terreur des pouvoirs despotiques. Enfin, entre 1939 et 1945, les studios hollywoodiens sont, la quantité impressionnante de films produits en témoigne, au sommet de leur gloire. Le chanteur de jazz (1927) d'Alan Crosland
La révolution du cinéma parlant à Hollywood (1) Après plus de 30 ans d'existence, durant lesquelles il n'a cessé de charmer son public avec ses images vivantes, le septième art va désormais séduire le monde avec la mélodie de ses musiques comme de ses mots. Expérimentées dès l'invention du cinéma, les techniques sonores ne commencent à être exploiter qu'au milieu des années 1920, lorsqu' est constatée une légère baisse de la fréquentation des salles obscures. La firme Warner est la première à présenter, dès 1926, une mise en scène sonore intitulée
Don Juan, où une musique appropriée a été synchronisée avec la bande image. Mais le premier film véritablement parlant de l'histoire du septième art est
Le chanteur de jazz, produit un an plus tard par la même firme, dans lequel Al Jolson entonne "Swanee". Cette audace d'un tel changement, alors que les films muets étaient jusque là unanimement admirés, se révéla rapidement fructueuse, et, en 1930, les spectateurs s'émerveillent en entendant, de plus en plus souvent résonner dans les salles, la familière mélodie du langage. Cependant, tandis que les réalisateurs et la clientèle des cinémas se réjouissent de ce bouleversement, les acteurs hollywoodiens, eux, qui n'ont toujours travaillé que leur démarche et leur gestuelle, appréhendent de prononcer leurs premiers mots face aux caméras.
M. le Maudit (1931) de Fritz Lang
La crainte est compréhensible, car il suffit d'une voix un peu trop singulière à l'écoute pour effacer une silhouette des écrans. C'est ainsi que plusieurs acteurs seront, bien qu'ils aient eu un jeu et un style d'interprétation intéressants, inexorablement oubliés. John Gilbert, par exemple, dont les femmes appréciaient la virilité, se voit refuser tout les plateaux de tournage, sans doute pour cause de cordes vocales ne produisant pas le son adapté à la masculinité affirmée qui faisait son charme. Pour d'autres, au contraire, la chance est au rendez-vous, et ce récent bouleversement asseoira leur notoriété durant les prochaines années. Parmi eux, figure notamment Greta Garbo, qui, dans
Anna Christie de Clarence Brown, prend pour la première fois la parole face à la caméra. Au cours de ce film, le public la découvre pénétrant dans un café, posant son sac sur une table, pour s'asseoir enfin, et demander à un des serveurs : "give me a whisky, ginger ale on the side and don’t be stingy baby" ("donne-moi un verre de wisky, un verre de ginger ale et ne sois pas radin mon petit"). Sa voix grave, musicale et sensuelle, lui fera franchir avec succès le cap de la transition entre le muet et le parlant.
La Reine Christine (1933) de Rouben Mamoulian
Un autre changement, soudain et bien plus difficile à vivre, est celui que beaucoup d'américains doivent affronter au quotidien, après la crise boursière de 1929 : la misère et la dépression assassinent brusquement l'insouciance des années 1920. Les soupes populaires sont alors prises d'assaut, et, dans les longues files d'attente, on discerne de temps à autre une voix entonnant ironiquement une chanson à la mode : "Brother can you spare a dime "mon pot peux tu me passer trois sous". De plus, la crise fait aussi des victimes dans le rang des businessmen rutilants, et aux côtés des laissés pour compte, noyés dans la pauvreté, viennent s'ajouter les suicides de ceux qui ont fait brusquement faillite. Enfin, le climat d'angoisse et d'insécurité, lié au chômage et à la délinquance urbaine, ne vient qu'assombrir le tableau de ces années difficiles. Mais c'est dans ce contexte, caractéristique de la dépression américaine, que les salles de cinéma sont envahies par les spectateurs, qui, ayant dépensé quelques cents pour pouvoir s'asseoir devant les écrans, souhaitent oublier un instant, dans l'illusion et la magie des films, la triste et affligeante réalité de leur vie.
Frank Capra, Clark Gable et Claudette Colbert, sur le tournage de
New-York Miami (1934)
Le triomphe des studios hollywoodiens (2)Dès l'aube des années 1930, la fréquentation des salles obscures connaît une hausse significative, car les films deviennent un formidable îlot d'évasion au sein d'une époque abreuvée d’inquiétude. Face à cette demande croissante, Hollywood, que l'on surnomme désormais l'usine à rêves, ne cesse de s'agrandir, produit de plus en plus, et renouvelle puis entretient divers genres cinématographiques. Ainsi, sur les écrans, les films musicaux triomphent avec, entre autres,
La joyeuse divorcée,
Le danseur du dessus (
Top Hat),
L'entreprenant monsieur Pétrov ou
Amanda, tous quatre réalisés par Mark Sandrich, dans lesquels Fred Astaire et Ginger Rogers sont les rois de la danse. Les comédies loufoques trépidantes, typiquement américaines, remportent, elles aussi, un succès impressionnant, avec notamment les meilleures mises en scène de Frank Capra, comme
New York-Miami et Vous ne l'emporterez pas avec vous, ou bien
L'Impossible Monsieur Bébé, de Howard Hawks. Les films d'épouvante s’illustrent, quant à eux, avec des réalisations comme
Les chasses du comte Zaroff et
King Kong. Les œuvres policières, telles que
Je suis un évadé, de Mervyn LeRoy,
Les Anges aux figures sales, de Michael Curtiz, ou
Scarface, de Howard Hawks, ne sont pas en reste, car elles font, grâce à leur forte résonance sociale, l'objet d'un intérêt particulier chez les spectateurs.
Humphrey Bogart dans
Le Faucon maltais (1941) de John Huston
L'industrie hollywoodienne tourne alors à plein régime, et de plus en plus d'acteurs et de réalisateurs, qu'ils soient américains ou émigrés européens, s’affirment devant comme derrière les caméras, contribuant ainsi à l'ascension triomphale des mythiques studios. Parmi eux, figure un cinéaste d'origine autrichienne, pour qui les années 1930 seront plus que jamais synonymes de gloire et de reconnaissance. En effet, dès
Haute pègre, en 1931, suivi un an plus tard de
Sérénade à trois, Ernst Lubitsch rencontre un grand succès, que
Ange, présenté en 1937, ne fait que confirmer. Dans cette mise en scène, Marlène Dietrich, l'une des plus célèbres vedettes de cette époque, est le personnage principal d'une réflexion sur la fidélité. Ensuite, sous la direction du même réalisateur, Claudette Colbert et Gary Cooper partagent un même pyjama, elle portant le haut et lui le bas, ce qui donne naissance à une des fameuses scènes de La huitième femme de Barbe-Bleue. Greta Garbo, elle, choisit des rôles plus réalistes, et incarne
Marie Walewska, puis
La Reine Christine, avant d'être à l'affiche de
Ninotchka , film réalisé à Hollywood mais relatant la réalité de la vie en URSS. Quant à John Wayne, il poursuit une diligence dans un western intitulé
La chevauchée fantastique, qui connaîtra un succès imprévu, réalisé par John Ford qui tourne ensuite en 1940, le sompteux
Les raisins de la colère, d'après l'oeuvre de John Steinbeck.
Les Enfants du Paradis (1944-45) de Marcel Carné
Mais si, à travers tant de films, beaucoup de grands noms, qui ont marqué les années 1930 à Hollywood, sont aujourd'hui des personnages incontournables et font partie de la culture cinématographique, d'autres, en revanche, restent des vedettes oubliées et méconnues. Irène Dunne, par exemple, dont les spectateurs appréciaient la spontanéité dans
Cette sacrée vérité, de Leo McCarey, passera régulièrement à côté de l'Oscar. Mais elle n'est pas la seule que le septième art a tendance à oublier, et parmi les noms du grand écran connaissant un sort semblable, figure celle que l'on surnommait à l'époque
La Blonde platine, Jean Harlow. Au gré d'un destin qui pourrait s'apparenter, avec une vingtaine d'années d'avance, à celui de Marilyn Monroe, elle joua entre autres sous la direction de Victor Fleming, ce qui donna naissance à
La belle de Saïgon, en 1932, ou face aux caméras de George Cukor, dans
Les invités de huit heures. Bien que son style d'interprétation original révèle une artiste talentueuse, elle est souvent traitée avec condescendance, même par ses admirateurs.
Cary Grant et Katharine Hepburn dans L'Impossible Monsieur Bébé (1938)
L’arrivée des dialogues et des chansons sur les écrans de France(3) Exploité pour la première fois à Hollywood au milieu des années 1920, le cinéma sonore ne se propage véritablement en Europe qu'à partir de 1930. En France, le septième art connaît, et ce jusqu'en 1934, une période difficile dûe à la transition technique entre le muet et le parlant. Cependant, dès 1930, les chansons, et leur gaieté, sont mises à l'honneur dans plusieurs films. Henri Garat, que les femmes aiment au point d'embrasser les pneus de sa voiture, chante "Avoir un bon copain" pour
Le congrès s'amuse, Albert Préjean entonne "Sous les toits de Paris", et Charles Trénet interprète "Je chante", pour le film portant le même nom. Mais ces premières années restent surtout marquées par la carrière fulgurante et tout aussi brève de Jean Vigo, qui réalise
Zéro de conduite et
L'Atalante, ainsi que par les fortes personnalités de René Clair et Jaques Feyder. Après avoir aimanté les foules dans les salles obscures avec ses deux premiers longs métrages parlants, intitulés Sous les toits de Paris et Le million, René Clair affronte l'échec public de
Quatorze juillet et
Dernier milliardaire, puis se rend en Angleterre pour gagner ensuite les États-Unis, où il restera jusqu'à la fin de la guerre. Jaques Feyder, lui, réalise
Le grand jeu,
Pension Mimosa et
La kermesse héroïque, et lance ainsi la mode du film colonial et celle de la grande fresque historique à costumes.
Le danseur du dessus (Top Hat, 1937) de Mark Sandrich
Puis, à partir de 1934, le cinéma français traverse, pendant six années, une situation paradoxale. En effet, au milieu des années 1930, la crise économique de la production entraîne de nombreuses faillites de sociétés, mais, dans le même temps, la présence de grands cinéastes donne des mises en scène qui deviendront des œuvres de référence, et offriront au septième art hexagonal une renommée internationale. Ainsi, Marcel Pagnol, Julien Duvivier, Jean Grémillon, Marcel Carné et Sacha Guitry s'associent à des scénaristes et des dialoguistes comme Charles Spaak, Jacques Prévert, Henri Jeanson et Jean Aurenche, et présentent alors des réalisations qui font désormais partie du patrimoine national, et qui, dès la fin des années 1930, sont achetées par des américains qui souhaitent en faire des adaptations pour leur pays. De plus, cette école française servira, à l'aube des années 1940, de référence morale et esthétique pour les premiers cinéastes du néoréalisme italien, comme Visconti ou Rossellini. Qualifié de poétique, le réalisme qui emplit ces mises en scène se distingue par des scénarios et des thèmes souvent morbides, transfigurés par un travail important sur la lumière et la plastique de l'image. Les dialogues, généralement populaires et lyriques, y tiennent une place fondamentale, à tel point que certains reprocheront aux cinéastes de trop les utiliser.
Jean Gabin et Michèle Morgan dans Quai des Brumes (1938) de Marcel Carné
Mais les critiques ne parviennent pas longtemps à lutter contre le talent indéniable des réalisateurs. En 1936, pendant que le front populaire s'installe au pouvoir, Sacha Guitry tourne
Le roman d'un tricheur, Julien Duvivier met en scène, dans
La Belle équipe, une poignée de copains échouant dans leur projet d'ouvrir une guinguette, et, dans
Le Crime de Monsieur Lange, Jean Renoir raconte la création d'une coopérative par les employés d'une maison d'édition dont le patron s'est lâchement enfui. Un an plus tard, alors que
Gueule d'amour, de Jean Grémillon, et
La Grande Illusion, de Renoir, sont présentés sur les écrans, André Malraux débute le tournage de L'espoir, qui ne sera projeté qu'en 1945, et dans lequel il relate la guerre civile espagnole. Puis, en 1938, dans
Quai des Brumes, de Marcel Carné, les amours de Michèle Morgan et Jean Gabin, appuyés par une musique de Maurice Jaubert, semblent évoluer sous la menace permanente de la fatalité, ce qui enveloppe le film d'un pessimisme notable, ayant, selon certains, favorisé la défaite de 1940. Peu de temps après, Gabin joue dans
Le Jour se lève, et, toujours face à la caméra de Carné, il crie sa révolte, et semble prisonnier d'un immeuble isolé et effrayant. En 1939, personne alors n'est plus dupe, et chacun sait que l'horreur, autrefois discrète, s'approche inexorablement.
Errol Flynn et Olivia De Havilland dans
Les aventures de Robin des Bois(1937) de Michael Curtiz
source : http://www.citecinema.com/Plan-Du-Site/Plan-Du-Site.htm